Une révolution culturelle en marche

06/08/2020

Ils sont quatre. Quatre généraux aux commandes de ce qui ressemble à une révolution copernicienne du fonctionnement parfois kafkaïen de la Défense. Cette indispensable révolution culturelle est conduite par le général-major Marc Thys et son équipe. Leur ligne de conduite : placer le personnel et son bien-être au centre du dispositif. Inédit.

Texte publié dans le magazine électronique de la Défense 🇧🇪 | 2020 | 📸 Vincent Bordignon

Le général-major Marc Thys, précédemment à la tête de la Composante Terre, œuvre désormais à l'amélioration de la Défense. Un vaste programme qui repose sur une très petite équipe de généraux. La Défense, familiarisée avec les restructurations en cascade de ces dernières décennies et réorganisée au gré des gouvernements, voit cette fois un changement s'amorcer de lui-même.

Pourquoi la Transition Team et maintenant ?

« Pour contextualiser, il faut revenir sur les quatre défis critiques auxquels la Défense est confrontée », amorce la général-major Marc Thys.

Quatre défis : personnel, opérations, Readiness Capacity, renouvellement

Le défi du personnel. « Dans les huit prochaines années, 40 % du personnel de la Défense partira à la retraite. Malgré un recrutement accru qui s'élèvera à plus de 2 000 personnes cette année et qui ne comblera pas l'énorme perte en savoir-faire ».

Le défi des opérations. « La situation géostratégique est complexe. Nos partenaires et alliés (l'ONU, l'Union européenne et l'OTAN) nous demandent de participer à l'effort collectif. Cette charge ne va pas s'alléger, que du contraire », assure le général-major.

Corollaire du précédent : le défi de la Readiness Capacity. Les sollicitations des partenaires et alliés pour impliquer davantage la Défense sur les théâtres d'opérations dans lesquels ils sont engagés, requièrent une préparation en profondeur. « Il faut renouveler nos stocks de munitions et de pièces de rechange... En somme, donner de la profondeur à notre organisation pour pouvoir opérer de manière expéditionnaire ou conventionnelle ».

Le défi du renouvellement des matériels majeurs. « En 2017-2018, l'État a investi plus de 1,5 fois les investissements cumulés de ces 30 dernières années », annonce Marc Thys. « Dans les 10 à 15 prochaines années, un renouvellement complet de nos capacités majeures va être implémenté. C'est unique pour notre organisation d'autant que durant ces changements majeurs, nous devrons rester opérationnels. » Inévitablement, l'ancien et le nouveau matériel seront employés conjointement. « La Capacité Motorisée, le programme CaMo, arrivera en 2025 et nous continuerons d'employer les Dingos jusqu'à 2030 certainement, impliquant l'entraînement, les formations et les pièces de rechange sur les deux types de matériel. »

« Tous ces défis font que nous traversons une période extraordinaire pour notre organisation. Raison pour laquelle une équipe de transition spécifique a été mise en place pour façonner notre avenir. »

Quelle en est sa composition ?

Pour une action efficace et des changements rapides nécessaires à l'organisation, l'équipe est constituée de généraux. « Avant tout, pour maintenir l'organisation et la mettre sur ses nouveaux rails, il faudra compter sur son personnel et son recrutement », débute Marc Thys. Le premier membre de l'équipe est donc le directeur général des ressources humaines : le lieutenant général Jan Hennes.

Il poursuit : « Le choix du deuxième collaborateur est motivé par l'écoute du personnel de l'organisation. Son « thermomètre » en la matière est représenté par son inspecteur général, le colonel Dirk Ilegems.»

Le troisième membre de l'équipe est le directeur général santé et bien-être (DG Well-Being) : le médecin général de brigade Erwin Dhondt. « Le bien-être du personnel doit être permanent. L'attention qui y est portée doit encore être peaufinée car c'est sur les effectifs que reposent la relève de défis. »

Marc Thys coordonne, quant à lui, l'équipe. Il est le seul à travailler exclusivement pour la Transition Team. Son mandant, entamé en octobre 2019, durera un an. « Je pense que ce travail devrait intégrer un processus continu de plusieurs années » ajoute ce chef d'équipe.

Pouvez-vous aborder les ambitions de la Transition Team ?

Le militaire, le personnel et l'humain

« Pendant de nombreuses années, nous avons planché sur l'axe stratégique, impliquant des décisions de fermeture de quartiers ou d'unités », entame le général-major. « On peut faire tout ce que l'on veut depuis cet axe mais sans l'implication des acteurs de terrain, nous ne déboucherons pas sur de bons résultats. »

Le but de la Transition Team est de travailler au profit de ces acteurs. La DG HR a modélisé le plan d'évolution du personnel dans les prochaines années. « En tenant compte du recrutement, de l'attrition, des départs à la retraite mais aussi des prolongations d'engagement volontaire, des filières de métiers et des compétences disponibles... C'est sur cette base qu'il faut travailler. En plaçant le personnel au cœur des préoccupations, je vise l'empowerment, le bien-être et la simplification des procédures. »

Comme point de départ, les quatre généraux disposent de données de l'Inspecteur Général qui mettent en exergue les problèmes de fonctionnement internes. À cela s'ajoutent des résultats d'enquêtes sur le bien-être. « Les inputs des syndicats sont aussi pris en compte », souligne le général-major Thys. « La Transition Team veille à optimiser les conditions afin que tout le personnel de la Défense participe positivement à ses évolutions en vue de faire face aux défis à venir. »

Concrètement, où en est la Transition Team ?

Les actions de la Transition Team vont tous azimuts. Plusieurs d'entre elles sont déjà d'application, d'autres sont en cours d'implémentation, certaines sont mises à l'agenda ou encore à l'étude. Le général-major en passe plusieurs en revue.

Limiter les ambitions

« Les unités veulent toujours bien faire et répondent toujours aux sollicitations. Je sais aussi que si tout se tient, c'est souvent au prix de nombreux sacrifices. En unité, un chef de corps et son officier opérations ont une perspective à deux, trois voire quatre ans. Mais au sein des compagnies d'infanterie, ce sont toujours les mêmes qui donnent de leur personne au fil des ans. Il faudra limiter nos ambitions pour relever nos défis ».

La Transition Team a briefé le cabinet du ministre et formulé des propositions en ce sens. « À court terme, je m'attends à des décisions et à des annonces », explique le général-major. Ces types de décisions sont extrêmement sensibles en interne comme en externe ».

Plus de civils et divers contrats

« Ils sont la colonne vertébrale de la Défense et pourtant les effectifs du corps des sous-officiers sont préoccupants », annonce Marc Thys. « Pour remédier à cela, nous allons limiter l'aspiration des sous-officiers au sein des états-majors et recruter davantage de civils. » Les chiffres de la Vision Stratégique annonçaient 1 000 personnes, toutefois la Transition Team élèverait ce chiffre à 2 500 personnes.

Les contrats ROSETTA constituent également une opportunité saisie par la Défense. « Les premiers engagements donnent actuellement entière satisfaction. De plus, la flexibilité d'engagement est également un atout. »

L'Insourcing est aussi appelé à se développer : « Il s'agit de contrats passés avec des firmes qui nous détachent temporairement de personnels ayant certaines compétences. Comme du personnel technique sur les véhicules, des secrétaires ou dans le cadre de l'info management. L'armée néerlandaise procède à ce genre de renforcement depuis un moment. À terme, cela concernera quelque 500 personnes. »

La réserve active est un outil supplémentaire qui produit d'ores et déjà d'excellents résultats avec de nombreux candidats. Pérenniser le contrat de ces réservistes doit encore être étudié mais le processus a déjà débuté. « L'objectif étant qu'un chef de corps puisse engager lui-même des réservistes dans des fonctions d'appui. Après une formation militaire limitée d'un mois, la recrue peut exercer dans son domaine de compétence. »

L'outsourcing. Sous-traiter l'appui territorial est dans le collimateur de la Transition Team. Sont concernés : la restauration, l'infrastructure, l'appui CIS mais aussi, à terme, le gardiennage. « Les Territorial Service Support (TSS) sont primordiaux et ont trop longtemps été traités comme des fonctions en cumul. Pour renforcer ces services, l'idée est de fonder une cellule de personnel militaire en charge de contrôler des sous-traitants civils. Il faut se rendre compte qu'actuellement le nombre de militaires affectés à de telles fonctions s'élève plus de 2 400 ETP, soit 10 % de notre effectif. En sous-traitant, ce sont au moins 1 500 ETP militaires qui pourront être versés dans les bataillons. »

« Pour soulager les formations et leur besoin considérable en personnel, nous disposons d'un outil formidable dont nous n'exploitons pas suffisamment le potentiel : le BEL ADL, l'outil de cours en ligne ». Le recours à de l'outsourcing pour « mettre au point » les e-formations est une piste. « Un autre exemple concerne l'exploitation du port de Zeebruges. C'est un problème car nous n'avons plus le personnel suffisant », concède Marc Thys. Et d'ajouter : « La gestion de nos archives papier et électroniques est aussi à l'étude. » Tout comme la possibilité pour un candidat de suivre sa formation professionnelle spécialisée dans un centre de formation régional proche de son domicile. Impensable au sein de la Défense auparavant !

« Concernant l'outsourcing, mon analyse débouche sur une accélération du processus », confie Marc Thys. « Tous les retours que nous avons au sujet d'Heverlee sont extrêmement satisfaisants. Le nombre de repas desservis quotidiennement a triplé depuis l'outsourcing ». Pour accélérer la cadence, il faudrait que le service qui s'y consacre soit complet. L'équipe elle-même manque de personnel, ce qui réduit son efficacité et alourdit sa charge de travail.

Simplifier les procédures destinées au personnel tout en diminuant la charge administrative

La simplification des processus visant l'intervention des services d'appuis est également une problématique comprise par la Transition Team. Donner plus d'autonomie aux moyens de l'échelon local, diminuer le contrôle central et simplifier les procédures est le but, explique le chef d'équipe. L'ambition est similaire pour les procédures de remboursements, véritable casse-tête pour le personnel car trop lourdes administrativement. « La gestion quotidienne de l'administration du personnel est également à l'ordre du jour. Et pourquoi pas via une application sur smartphone ? », interroge le général-major. « Tous ces changements vont influencer le changement de culture dont la Défense a besoin. »

Rodolphe Polis - Blog
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